L'art qui bande

La seule œuvre de Picasso, membre du PCF depuis 1944, évoquant le génial petit père des peuples, est un dessin provocateur de novembre 1949, représentant une main tenant un verre, avec la légende : « Staline à ta santé », une encre de Chine réalisée à l’occasion du 70° anniversaire du dictateur. A la mort de Staline en 1953, Picasso s’exécute, cette fois, de bonne grâce. Il se fait envoyer des photos du dirigeant soviétique disparu et en choisit une de 1903, afin de réaliser un portrait stylisé de Staline jeune. Le portrait de Staline par Picasso apparaît sur les Lettres Françaises le 12 mars en une , encadré de deux articles d’hommage serviles à souhait, l’un intitulé « Staline, le marxisme et la science » par Joliot-Curie, l’autre, signé Louis Aragon, titré « Staline et la France ».
Le scandale est immédiat. Un communiqué du secrétariat central du Parti Communiste Français est publié en première page de L’Humanité, à côté d’une immense photo de Staline. On y lit que le PCF « désapprouve catégoriquement la publication par Les Lettres Françaises du portrait de Staline par le camarade Picasso ». Le secrétariat adresse un blâme discret à Louis Aragon, qui devra se fendre d’une autocritique, publiée peu de temps après dans le magazine dont il assure la direction pour le PCF. Dès le numéro suivant des Lettres Françaises,
André Fougeron, le peintre officiel du Parti communiste fr, écrit : « Ma tristesse tient au fait que, si un grand artiste, en 1953, est incapable de faire un bon mais simple dessin du visage de l’homme le plus aimé des prolétaires du monde entier, cela donne la mesure de nos faiblesses dans ce domaine dans notre pays qui compte pourtant, dans son passé artistique, les plus grands portraitistes que la Peinture ait connus. ». En réalité, ce que le Parti reproche à Picasso, c’est de refuser de se plier aux canons esthétiques du communisme de l’époque stalinienne.
Réaction de Picasso, qui a toujours eu la prudence d’éviter de se rendre à Moscou : « J’ai apporté des fleurs à l’enterrement. Mon bouquet n’a pas plu. C’est toujours comme ça avec les familles . ». André Breton poursuit ce propos dans Paris-Presse le 22 mars 1953 : « Chacun sait que l’œuvre de Picasso, de l’origine à ce jour, est la négation effrénée du prétendu réalisme socialiste . Le « scandale » de ce portrait n’a d’autre intérêt que de faire éclater à tous les yeux, l’incompatibilité de l’art avec les consignes de la brigade policière qui a la prétention de le régir. ».
A Pierre Daix, Picasso expliquera : « le réalisme socialiste, ça devrait être un Staline qui bande, non ? ».
C'est juste un avis pour les tallassines des régimes et des systèmes qui pompent le peu d'air encore respirable.
Tarik Ouamer-Ali